À LA RECHERCHE DU SILENCE…

texte Ina Chong

illustration Jon Koko

Si le silence s’incarne dans des lieux différents, de l’intimité d’une chambre à la majesté d’une cathédrale, s’il est propice à faire naître la parole, à la rendre audible, qu’en est-il dans un monde assourdissant, en proie à un flot ininterrompu de paroles, où même être devient synonyme des bavardages que l’on produit ?

La présence des voisins qu’on devine à travers les murs, le vacarme strident de la circulation, les sirènes de police, le bruit cassant des travaux, les musiques d’ambiance en tous genres, les sonneries des téléphones dans les transports en commun, mais aussi le tumulte des vagues qui se fracassent contre les galets ou l’essoufflement qui retentit dans la tête lors d’une randonnée. L’expérience est universelle et sans doute atemporelle. Peu importe le lieu, les bruits sont là. Ils sont omniprésents et nous rappellent au monde. Ils nous renseignent sur l’endroit où l’on se trouve et dessinent les paysages sonores de ces espaces qu’ils finissent par caractériser. Il semble impossible de leur échapper et l’ouïe est sans cesse stimulée, saturée et parfois même agressée. Nos sociétés contemporaines ne sont historiquement pas plus bruyantes que dans le passé, où il faut imaginer les villes des temps modernes ou celles du xixe siècle, emplies de leurs petites industries, de leurs halles et de leur bétail. Il n’empêche que si l’intensité peut varier en décibels, l’omniprésence des sons parasites est un fait contemporain. L’envie de faire taire le monde moderne et assourdissant qui nous entoure se fait alors grandissante. Cette nécessité révèle surtout une intolérance au bruit, synonyme de douleur et de souffrance, pour lequel le silence semblerait être la réparation salutaire. Pourtant, il n’est jamais la réduction à une simple absence de bruit, comme le rappelle Alain Corbin, historien des sens. Dans Histoire du silence : de la Renaissance à nos jours, il s’est intéressé à rendre compte des différentes textures du silence. Une matière éminemment précieuse qui a évolué à travers les époques. Dans la littérature religieuse du xvie siècle, il s’éprouve dans la pratique de la méditation et de la prière afin d’être à l’écoute de Dieu. Les Romantiques, eux, trouvent l’incarnation la plus tangible de Dieu dans la Nature et l’on voit naître une nouvelle texture du silence, parfaitement bien incarnée dans Walden, de l’Américain transcendantaliste Henry David Thoreau.

Silence – Jon Koko

« N’est-ce pas le silence qui détermine et qui fixe la saveur de l’amour ? S’il était privé du silence, l’amour n’aurait ni goût ni parfum éternel. Qui de nous n’a connu ces minutes muettes qui séparaient les lèvres pour réunir les âmes ? Il faut les rechercher sans cesse. Il n’y a pas de silence plus docile que le silence de l’amour et c’est vraiment le seul qui ne soit qu’à nous seuls ».

Le silence n’est alors jamais absolu. Au contraire, il a besoin d’être révélé par un bruit, même infime. Il nous fait entendre autrement, avec plus d’acuité. Il est une « transparence aérienne, qui rend les perceptions plus claires, nous ouvre le monde ignoré des infiniment petits bruits, et nous révèle une étendue d’inexprimables jouissances », comme l’écrit Eugène Fromentin dans Un été dans le Sahara. On peut écouter la campagne, la montagne ou la mer et jouir des trésors de chaque paysage sonore. L’histoire du silence est celle d’un parcours esthétique explorant mille et une profondeurs et richesses. De l’intimité d’une chambre à la majesté d’une cathédrale, en passant par la nature, il s’incarne dans des lieux différents et fait sa mue au gré des sensibilités. Il s’est peu à peu étoffé d’un imaginaire propice à inspirer et à enchanter pléthore d’artistes. Des écrivains et des poètes qui célèbrent la naissance de la parole créatrice émergeant de cette matière ou celle des mots qui jaillissent de la page blanche. D’autres, comme Maurice Maeterlinck, explorent les saveurs du silence quand ce dernier est partagé.
« N’est-ce pas le silence qui détermine et qui fixe la saveur de l’amour ? S’il était privé du silence, l’amour n’aurait ni goût ni parfum éternel. Qui de nous n’a connu ces minutes muettes qui séparaient les lèvres pour réunir les âmes ? Il faut les rechercher sans cesse. Il n’y a pas de silence plus docile que le silence de l’amour et c’est vraiment le seul qui ne soit qu’à nous seuls » (Le Trésor des humbles).


Le silence est complexe, pluriel, beau et terrifiant à la fois. Il est aussi en voie de disparition, non pas tant à cause du brouhaha urbain existant qu’en raison d’une certaine injonction sociale qui impose une connexion permanente et un flux ininterrompu de paroles. Le silence est une aventure, celle de l’introspection, de la création et de la rêverie… Chut !

Cet article est issu du Tome 1

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